13/03/2011

Sondages : quelle alternative scientifique à leur imprécision ?

 Les études sur les opinions sont loin d’être scientifiques. Couramment pratiquées dans l’entreprise, leur absence de prédictivité doit alerter les experts de l’intelligence économique.

L’éclairage du futur n’est-il pas leur objectif numéro un ? 

 

 

L'intelligence économique doit-elle être réduite à des affaires d'espionnage ou de contre-espionnage, de veille technologique et de sécurité ? Faut-il rappeler que les champs de bataille de la guerre économique sont les opinions des clients, des actionnaires, des journalistes, des citoyens ? Et que la connaissance précise de leurs motivations et la prévision de leurs préférences sont primordiales dans la conquête des marchés ?

 

Pourtant, dans ces domaines, la véritable innovation reste confidentielle et les protocoles utilisés par les grands instituts d'études et de sondages d'opinion ont, depuis longtemps, montré leurs limites.

Qu'est-ce qui leur fait défaut ?

 

  1. L'absence de théorie expérimentée sur le phénomène dont relèvent les faits étudiés. « Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie » écrivait Pasteur. En effet, sans théorie initiale pas de recherche de sources significatives, pas d'outils d'analyse des informations recueillies. Malheureusement, pour comprendre les opinions publiques et leurs manifestations, les sondeurs en sont restés à Alfred Sauvy et aux théories sociologiques des années 30-50.
  2. L'absence de modélisation dans les sciences humaines. Elles ne jurent que par les statistiques avec la complicité des instituts d'études et des médias(1), grands bricoleurs de quotas et d'intervalles de confiance. Pourtant, seule la modélisation d'un phénomène permet d'anticiper réellement ses futurs possibles. Naturellement, il faut en avoir identifié et mesuré les facteurs et, à mon avis, respecter un principe : « Le futur ne se déduit pas, il se simule »(2)...

 

Utiliser une nouvelle théorie sur l'opinion publique ?

Je propose d'admettre un fait : une opinion publique est un jugement. Un jugement public porté par un groupe informel, sur les sujets qui intéressent ses membres.

Comme tous les jugements, une opinion publique est orientée vers des projets à satisfaire (3). Ces projets sont communs à tous les membres du groupe. Seule l'intensité de leurs implications réciproques varie.

 

Ce jugement public permet aux membres d'un groupe d'établir leurs préférences vis-à-vis des éléments en compétition dans le sujet d'opinion : programmes, hommes ou systèmes politiques, marques, entreprises ...

Pour cela, une opinion publique se réfère à une perception semblable de la réalité concernée et à des dispositifs (4) de critères de préférences préexistants. C'est le « conformisme logique » (5) implicite entre les membres d'un même groupe. Avec les projets communs, ils forment la doxa, un « réseau de valeurs », une « communauté de foi » (6), qui rassemblent les personnes du groupe.

 

Les membres de cette communauté informelle communiquent à travers un maillage de leaders d'opinion et de sous-leaders qui alimentent la circulation de l'information (7).  Ce sont ces leaders d'opinion qui créent le fameux buzz en utilisant internet. Le phénomène de leadership a toujours existé : le web accélère simplement la communication dans le groupe et la rend plus visible. Les leaders d'opinion favorisent également l'échange entre les groupes. Ainsi chaque groupe connaît implicitement les projets et les critères des autres groupes, même et surtout quand ils sont opposés aux siens (8).

Les jugements sont des évaluations. Ils sont le résultat de calculs -implicites et spontanés- sur la capacité ou probabilité des marques, entreprises, idéologies, programmes ou candidats politiques à réaliser les projets concernés.

Ces évaluations sont donc effectuées à partir d'une perception d'une certaine réalité et du dispositif de critères de préférences commun qui en a été déduit. In fine, les personnes confèrent des valeurs aux entreprises, marques ou projets politiques. Ce sont ces valeurs qui permettent leurs hiérarchies et débouchent sur les préférences. Ces évaluations sont mesurables.

 

Pourquoi une modélisation de l'opinion publique est-elle le seul moyen d'anticiper sur son évolution ?

Les sondages ne sont pas une science ; ils présentent simplement une photo très floue d'un présent...  déjà passé ! Ils ignorent les facteurs explicatifs (9) autorisant, de ce fait, toutes les interprétations.   

A l'inverse, la modélisation exige l'identification et l'évaluation réciproques des causes d'un phénomène. Les prévisions du modèle sont ensuite comparées à la réalité.

 

Comment réussir une modélisation des opinions publiques ?

  1. D'une part, en identifiant les facteurs explicatifs : les intentions, les rêves, les projets des personnes. Et leurs traductions en termes de jugements sur les moyens perçus de les réaliser.
  2. D'autre part, en évaluant leurs perceptions de la réalité concernée. Autrement dit : en mesurant la pertinence ou la crédibilité qu'ils accordent aux moyens dont ils pensent disposer pour créer leur avenir.

 

Une modélisation du comportement humain est prévisionnelle « par nature » puisqu'elle s'appuie obligatoirement sur les projets des personnes (10). Elle est donc « naturellement » tournée vers le futur, contrairement à  « l'analyse prédictive » qui prolonge des historiques.

 

En 30 ans de recherches et d'applications dans le conseil et les études marketing / communication, j'ai conçu et testé avec mon associée, un protocole de modélisation des préférences inspirée des travaux de Fishbein (11) et des apports de l'Analyse motifonctionnelle (3).

Ce protocole d'études -non déclaratives- a prouvé que les opinions accordent des valeurs aux marques, entreprises ou personnes sur lesquelles elles portent un jugement. Ces valeurs débouchent sur des parts de préférences qui sont, dans le cas des produits ou des marques, prédictives de la part de marché (précision <1%).

Les résultats obtenus permettent d'avoir une vision du futur à court ou moyen terme et d'effectuer des simulations à partir d'hypothèses sur l'évolution des images des marques, entreprises ou personnes testées.

 

Pourquoi ce protocole d'études est-il aussi peu utilisé par les grands sondeurs ? Est-ce parce qu'il mesure et explique finement les performances des opérations de communication, mettant en question l'allocation de budgets considérables ?  Est-ce parce c'est une création française dans un microcosme qui ne jure que par néologismes anglo-saxons ? Est-ce parce qu'ils ne maitrisent pas ce protocole plus élaboré et donc sensiblement plus cher que les sondages statistiques usuels ?

 

Ce protocole d'études parait prédictif de la répartition des votes dans les élections ; des tests réalisés dans le cadre de l'Université semblent le confirmer. A quand une expérimentation par un grand institut ? Jusqu'à présent, confortés par les médias, les sondeurs préfèrent le bricolage à la recherche. Mais voilà que le Sénat met les pieds dans le plat...

 

 

  • (1) cf. «Effet gigo dans les sondages» blog de l'IE / Les Echos
  • (2) cf. «Les 7 Piliers du Marketing de combat»
  • (3) cf. «L'Analyse motifonctionnelle» et «Le Propre de l'Homme, enquête sur les origines de nos actes» Yves H. Philoleau, à paraître (2011)
  • (4) Expression empruntée à Michel Foucault
  • (5) Durkheim repris par Bourdieu
  • (6) Charles Grivela (1980) «Esquisse d'une théorie des systèmes doxiques»
  • (7) Lazarsfeld, Paul F. / Berelson, Bernard / Gaudet, Hazel (1968) : «The People's Choice. How the Voter Makes up his Mind in a Presidential Campaign».
  • (8) Denise Barboteu-Hayotte : «Enquête motifonctionnelle Philip Morris», Paris 1989.
  • (9) Pour certains, les quotas font office de facteurs explicatifs...
  • (10) «Méfiez-vous de vos rêves. Ils finissent toujours par se réaliser.» (Goethe)
  • (11) Fishbein, M., & Ajzen, I. (1975). Belief, Attitude, Intention, and Behavior: An Introduction to Theory and Research. Reading, MA: Addison-Wesley.

 

 

 

 

 

10/03/2011

Ifop : le sondage de la honte

On se demandait où le premier ministre avait trouvé le concept de personnes « d’origine musulmane » ? A l’Ifop qui l’a inventé pour réaliser ses sondages ethniques !

 

Extraits du site de l’Ifop :

«  Depuis de nombreuses années maintenant, l’Ifop mène des enquêtes auprès des personnes d’origine musulmane. Ces sondages nous ont permis d’avoir une assez bonne connaissance des opinions politiques et des comportements religieux de cette population. Les données disponibles étaient en revanche beaucoup plus parcellaires en ce qui concerne les pratiques de consommation » . 

« Echantillon de 536 personnes d’origine musulmane, âgées de 18 ans et plus.
La représentativité de l'échantillon a été assurée par la méthode des quotas. Les interviews ont eu lieu en face à face du 12 au 19 décembre 2009. »

 

Les sondages sur les opinions religieuses existent depuis longtemps. On distingue, par exemple, des catholiques pratiquants, des catholiques non pratiquants, des non croyants ayant eu une éducation catholique. Mais jamais des personnes « d’origine catholique ».

Ce vocable est bien évidemment stupide. Mais il en dit long sur l’imprégnation des esprits par les thèses ségrégationnistes et les campagnes gouvernementales sur l’identité nationale.  « Le ventre est toujours fécond dont est sortie la bête immonde » (Brecht, La Résistible Ascension d’Arturo Ui)

 

Faut-il rappeler au Premier ministre François Fillon que la question des origines religieuses se pose autrement : l’islam et le christianisme sont authentiquement d’origine juive, religion qui, elle-même, trouve une partie de ses origines en Mésopotamie ?

 

En ce qui concerne la méthodologie de ce sondage, pour mémoire, je rappelle :

-          que l’intervalle de confiance pour un échantillon de 536 personnes se situe aux alentours de 4 points en plus ou en moins.

-          que la méthode des quotas n’est pas scientifique puisqu’elle présuppose que les causes des opinions sont exclusivement sociologiques, géographiques et liées à l’âge.

-          qu’en l’absence de modélisation des opinions publiques sur les sujets considérés, on ne peut pas en expliquer scientifiquement leurs évolutions. Laissant le champ libre à tous les bavardages des commentateurs de Sciences Po, qu’ils soient journalistes ou sondeurs.

 

Je renvoie mes lecteurs à « Effet gigo dans les sondages ? » paru sur le blog de l’IE / Les Echos. Cela leur permettra d’en relativiser les données qui n’ont qu’un but : promouvoir les instituts en gavant les médias...

 

 

 

 

17/11/2010

Il y a 30 ans, Raymond Aron lançait le Marketing de combat…

Le 18 novembre 1980, Raymond Aron, président du comité éditorial de L'Express, ouvrait le Forum international sur le Marketing de combat.

Avec une phrase visionnaire : « Lorsque Clausewitz rappelle aux chefs d'état que la guerre qui semble modérée peut devenir illimitée, c'est un conseil précieux  qu'il donne aux responsables d'une entreprise : oui, pour l'instant, vous vivez dans une compétition tranquille; personne ne veut la mort de l'autre. Mais vous ne savez jamais à quel moment, cette compétition semi-paisible deviendra un Marketing de combat..." (1). 

Cette nouvelle approche du marketing apparait aujourd’hui comme l’un des pionniers de l’intelligence économique. Le Marketing de combat redonnait une place prépondérante à la concurrence en affirmant, par exemple, que « les cibles d’une campagne ne sont pas les clientèles mais les images des offres adverses » (2).

 

Sa définition n’a pratiquement pas changé : «le Marketing de combat  est l'art de concevoir et de promouvoir des produits et/ou des services profitables pour l'entreprise, qu'une part définie de la clientèle convoitée va préférer aux produits et/ou aux services concurrents, tout en gênant ses adversaires dans l'utilisation de leurs moyens ou dans leur manière de combattre afin de faire pencher, à son profit, la balance des forces à engager» (3).

 

S’inspirant de Beaufre - « Chose curieuse, on a pu constater (...) que l'on pouvait en matière psychologique s'approprier des positions abstraites, tout comme en guerre militaire on s'empare d'une position géographique et on l'interdit à l'ennemi. » (4) -, le Marketing de combat a généré et expérimenté, en 30 ans, des applications informatisées d’intelligence marketing.

Elles modélisent ce « théâtre psychologique d’opérations » que constituent les motivations et les préférences des clientèles ou des citoyens vis-à-vis d’une offre –produit, service, marque, candidat ou programme politique.

A partir d’un simple tableau de bord(5), les applications font apparaître, par exemple, les composants « fers de lance » des images des offres en compétition ou leurs situations concurrentielles –« conquête », « annexion », « retraite », « défaite ».  

Outils d’analyses prévisionnelles capables de prédire la part de marché qu’obtiendra une offre un mois après son lancement, elles servent aussi à effectuer des simulations à partir d’hypothèses ou d’anticipations issues de renseignements ou de marketing  wargames. 

Instruments de veilles, elles permettent de suivre les évolutions d’indicateurs de performances marketing et communication universels : les Parts de préférences et les Valeurs perçues des offres en compétition.

 

Pour fêter le 30e anniversaire de son lancement officiel, la bible du Marketing de combat vient d’être rééditée (6). Elle reste d’une actualité brûlante et, comme l’écrivait Les Echos, lors de sa première parution  en 1994 : "L'ouvrage ne se réduit pas à un traité de l'art de la manœuvre directe, indirecte ou de harcèlement. Il s'intéresse aussi au véritable territoire des guerres concurrentielles (...) l'esprit des clientèles".

 

(1) http://www.marketingdecombat.com/html/concepts_Forum.htm/

(2) http://www.marketingdecombat.com/html/Concepts_7_Piliers.htm/

(3) http://www.marketingdecombat.com/

(4) Introduction à la stratégie,

(5) http://www. dy-lab.com/

(6) Disponible sur Amazon : http://www.amazon.fr/gp/offer-listing/2810619786/sr=8-1/qid=1289117302/ref=olp_tab_new?ie=UTF8&coliid=&me=&qid=1289117302&sr=8-1&seller=&colid=&condition=new